Fantôme rampant dans la brume,
Contre mon geôlier révolté,
Le cœur épris de liberté,
Lors d’une nuit noire, sans lune,
J’ai franchi les murs de l’enclave.
En brisant les fers à mes pieds,
J’ai quitté ces tristes quartiers
Où je vivais en esclavage
Depuis le jour de ma naissance.
Déliant les fils du destin,
J’ai suivi le premier chemin
Et couru comme un homme en transe ;
Plus de barreaux, plus de cages.
Découvrant un monde inconnu,
D’un pas léger à demi-nu,
Je traversais les marécages,
Les plaines, les forêts, la campagne.
J’allais chantant, à pleins poumons,
Un air conjurant ces démons
Négriers et gardiens du bagne.
Je n’étais plus l’ombre asservie,
Cette chose sans lendemain,
J’avais conscience d’être humain ;
J’étais le maître de ma vie !...
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Au loin, soudain, j’entends la meute,
La cohorte des miliciens.
À mes trousses, des cris, des chiens
Sanguinaires que l’on rameute…
L’épouvante me paralyse,
Inutile de pleurnicher,
Que faire, fuir ou me cacher ?
Dès lors, la peur me galvanise,
Que m’importe la route à suivre,
Semblable à un fauve éperdu,
Je cours le souffle suspendu ;
L’impératif est de survivre !
Fini le temps des inquiétudes,
Où je courbais le dos soumis
Aux désirs de mes ennemis.
Fini le temps des servitudes !
Je ne rejoindrai pas l’enclave
Dont, longtemps, comme un animal
J’ai subi le cycle infernal
Sans pouvoir exprimer ma rage.
Du passé, j’ai tourné la page,
D’avoir volé ma liberté
J’ai découvert la dignité,
Plutôt mourir que d’être en cage !...
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Homme debout face à lui-même,
J’affirme mon identité.
Vient le moment de vérité,
La liberté pour seul emblème,
Il me faut lutter, me débattre
Et regarder, droit dans les yeux,
Mes bourreaux, la mort et les cieux ;
Juste avant de périr combattre !
À pas lents, j’ai repris ma route,
L’aube enluminait l’horizon,
Des oiseaux, dans la frondaison,
Chantaient. Gaillard, j’allais sans doute
Vers la seule porte possible.
Je savais mon destin tracé,
Bien qu’un peu décontenancé,
Je cheminais, l’esprit paisible,
Parmi les pins, les térébinthes,
Les herbes folles et les fleurs…
J’ai séché ma crainte et mes pleurs
Grisé par l’odeur des jacinthes…
Parvenu près d’une rivière,
Un coup de tonnerre soudain,
Une pierre blanche à la main ;
Je suis parti vers la lumière…
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L’esprit en paix avec la terre
Au levé du jour éthéré
Le corps pétrifié, rassuré
Par le sourire de ma mère
Et sa voix, lointaine mais douce,
Qui me chuchote tendrement
À l’oreille, inlassablement,
Ce mot d’amour que rien n’émousse,
Loin des cris, des fracas hostiles,
Les yeux grands ouverts face au ciel,
Au seuil de mon dernier sommeil,
Sur un lit de mousses fertiles,
Les doigts posés sur la blessure
D’où le sang, comme un filet d’eau,
S’évade et colore la peau
De mon front puis ma chevelure,
Aux extrémités des herbages,
Près de la rive en espalier,
Sous l’ombrage d’un olivier,
Couché, parmi les fleurs sauvages,
Je dors bercé par l’eau du fleuve,
Je n’entends plus les chiens brayer
Ni même le monde aboyer,
Je rêve et je fuis l’aube neuve…